Révolution des Jeunes Tunisiens





La Révolution Tunisienne




Est une révolution considérée comme essentiellement non-violente, qui par une suite de manifestations et de sit-in durant quatre semaines en décembre 2010 et janvier 2011, a abouti au départ du président de la République de Tunisie, Zine el-Abidine Ben Ali, en poste depuis 1987. Le terme « Révolution de jasmin » faisant référence à la prise de pouvoir de Ben Ali, les Tunisiens préfèrent le nom de « Révolution pour la dignité et la liberté» ( ثورة الكرامة و الحرية).
Parties de la ville de Sidi Bouzid, d'où le nom original de « révolte de Sidi Bouzid » (ثورة سيدي بوزيد) ou d'« intifada de Sidi Bouzid », ces manifestations sont menées en protestation contre le chômage qui touche une forte proportion de la jeunesse, plus particulièrement les jeunes diplômés, la corruption et la répression policière. Elles débutent le 17 décembre 2010, après l'immolation par le feu d'un jeune vendeur ambulant de fruits et légumes à Sidi Bouzid,   Mohamed Bouazizi, dont la marchandise avait été confisquée par les autorités.
Quatre semaines de manifestations continues, s'étendant à tout le pays malgré la répression et amplifiées par une grève générale, provoquent la fuite de Ben Ali vers l'Arabie saoudite le 14 janvier 2011. Le Conseil constitutionnel désigne le président de la Chambre des députés,Fouad Mebazaa, comme président de la République par intérim en vertu de l'article 57 de la constitution. Cette désignation et la constitution d'un nouveau gouvernement dirigé par le Premier ministre sortant Mohamed Ghannouchi ne mettent pas fin à la crise ; le contrôle de huit ministères par le parti de Ben Ali, le Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD), est contesté par l'opposition et des manifestations. Mais le deuxième gouvernement Ghannouchi ne dure que du 27 janvier 2011 au 27 février 2011 : la pression populaire et syndicale pour un changement le plus complet possible et les violences continues entraînent la nomination d'un nouveau gouvernement dirigé par Béji Caïd Essebsi et la dissolution du RCD le 9 mars.
Les mois de mars et d'avril voient la définition progressive du processus de transition, sous la houlette de la Haute instance pour la réalisation des objectifs de la révolution, sans que toutefois ce « véritable conflit de classes » moderne ne voit ses causes résolues.
Environ 300 personnes ont été tuées et 700 ont été blessées entre le 17 décembre et le 14 janvier 2011.

Inégalités sociales et régionales

L'explosion de colère a pour cadre de profondes inégalités et disparités régionales de développement qui nourrissent un sentiment d'injustice et d'humiliation qu'éprouve le sous-prolétariat des régions de l’intérieur du pays, discriminé sur les plans économique, social et politique. Au-delà de ces facteurs régionaux et sociaux, il faut ajouter un facteur générationnel : le sentiment d’étouffement qu'éprouve la jeunesse, « proportionnel à son désir de détruire ce qui entrave sa liberté d’être et d’avoir ». Le sentiment d’injustice de la jeunesse joue d’autant plus qu'elle est nombreuse : 42 % des Tunisiens ont moins de 25 ans.
Pour le journaliste Taoufik Ben Brik, les jeunes manifestants « n'appartiennent ni à des partis, ni à des organisations syndicales, ni à des associations de la société civile […] mais ils se sont identifiés à Mohamed Bouazizi ». Pour lui « l'intifada de Sidi Bouzid » s'inscrit dans un large mouvement de révoltes commencé à Gafsa en 2008, qui s'est poursuivi à Ben Guredene en août 2010 et qui n'a jamais été résolu.
En effet, dès 2008, dans une forme de « répétition générale », la colère populaire s'était manifestée lors du mouvement du bassin minier de Gafsa, pendant plus de six mois et appelait déjà au respect de la justice sociale et de la dignité. Des centaines de Tunisiens avaient alors été arrêtés, torturés ou emprisonnés, certains trouvant la mort dans les affrontements avec la police, dans la quasi-indifférence des médias européens et tunisiens.
Selon une étude de l'Union générale tunisienne du travail (UGTT), le chômage touche 44 % des femmes diplômées d'université et 25 % des hommes diplômés d'université de Sidi Bouzid, contre respectivement 19 % et 13,4 % en moyenne en Tunisie

Corruption et Néotisme

Les causes sont également politiques : le président Zine el-Abidine Ben Ali et sa famille, notamment celle de sa seconde épouse Leïla et les Trabelsi, qualifiés selon les observateurs de « clan quasi-mafieux », sont directement mis en cause dans des affaires de corruption, de détournement ou de vol. Pour Khemaïs Chammari, ancien député de l'opposition, ancien secrétaire général de la Ligue tunisienne des droits de l'homme et membre du « comité Sidi Bouzid », la gestion du développement des régions est critiquée mais aussi la corruption et le népotisme du régime. Ainsi, le gendre du président Ben Ali, Mohamed Sakhr El Materi fait l'objet de maintes critiques : propriétaire de la Banque Zitouna et de concessions automobiles, il contrôle aussi le groupe de presse Dar Assabah qui publie les deux principaux journaux du pays. Plusieurs observateurs définissent le régime benaliste de « kleptocratie », ce qui entraîne le rejet du régime, à la fois par les classes populaires et par les milieux d’affaire.

Mohamed Bouazizi

Mohamed Bouazizi est un vendeur de fruits et légumes ambulant habitant à Sidi Bouzid, ville située dans le centre-ouest du pays. Fils d'ouvrier agricole, son activité de vendeur constitue le seul revenu régulier de sa famille. Ne possédant pas d'autorisation officielle, il se fait confisquer sa marchandise à plusieurs reprises par les employés municipaux. Essayant de plaider sa cause et d'obtenir une autorisation et la restitution de son stock auprès de la municipalité et du gouvernorat, il s'y fait insulter et chasser.
Le 17 décembre 2010, à l'âge de 26 ans, il s'asperge d'essence et s'immole par le feu devant le siège du gouvernorat. Le 4 janvier 2011, il meurt au centre de traumatologie et des grands brûlés de Ben Arous.
L'indignation suscitée par le suicide du 17 décembre se mue en révolte principalement parce que les manifestants partagent les motifs de Mohamed Bouazizi — cherté de la vie, frustration des chômeurs et en particulier des diplômés, mépris des autorités et dureté de la police — au point que le geste de Mohamed Bouazizi est imité par deux autres jeunes. 

Révolte de Sidi Bouzid

Dès le 17 décembre 2010, des dizaines de commerçants rejoints par des jeunes et des proches de Bouazizi se réunissent pour protester. Durant le week-end, les rassemblements s'amplifient ; la police tente de les disperser mais la situation dégénère : plusieurs agents et manifestants sont blessés, des interpellations ont lieu.
Le 22 décembre, un autre jeune, Houcine Neji, âgé de 24 ans, escalade un poteau électrique de la ville et crie qu'il ne veut « plus de misère, plus de chômage ». Alors que plusieurs personnes le supplient de redescendre, il meurt électrocuté en touchant les câbles de trente mille volts. Aussitôt, la révolte reprend plus violemment et s'étend aux villes voisines de Meknassy et Menzel Bouzaiane. Dans cette dernière, les manifestants incendient le siège de la délégation et assiègent le poste de la garde nationale.

Extension du mouvement

Mouvement qui se propage

Le 24 décembre 2010, la révolte se propage dans le centre-du pays, notamment à Menzel Bouzaiane, où Mohamed Ammari est tué par balle dans la poitrine par la police. D'autres manifestants sont également blessés, y compris Chawki Belhoussine El Hadri, qui meurt le 30 décembre. La police affirme avoir tiré en état de légitime défense. Un quasi couvre-feu est ensuite imposé sur la ville par la police.
À l'appel de militants syndicaux, la révolte atteint la capitale Tunis le 27 décembre, avec environ mille citoyens exprimant leur solidarité avec Bouazizi et les manifestants de Sidi Bouzid. Le lendemain, l'Union générale tunisienne du travail tente d'organiser un sit-in à Gafsa mais la police l'en empêche. Dans le même temps, environ trois cents avocats se réunissent devant le Premier ministère à Tunis.
Le 28 décembre 2010, le président Ben Ali se rend au chevet de Mohamed Bouazizi. Le même jour, il critique dans un discours diffusé en direct sur la chaîne nationaleTunisie 7 les manifestants qui ne seraient qu'« une minorité d'extrémistes et d'agitateurs », annonce que des sanctions sévères seront prises et s'en prend aux chaînes de télévision étrangères qu'il accuse de diffuser des allégations mensongères et d'être responsables des troubles. Mais son discours n'a pas d'impact et d'autres villes de province s'embrasent, dont Gafsa, Sousse, Gabès et Kasserine.
Le 30 décembre, la police disperse dans le calme une manifestation à Monastir, tout en utilisant la force pour perturber d'autres manifestations à Sbikha et Chebba. Le soir, la chaîne maghrébine privée Nessma TV diffuse une série de reportages sur les évènements ainsi qu'un débat inédit au cours d'une émission spéciale ; pour la première fois, les questions de corruption et de censure de la presse sont librement évoquées par les participants, qui s'abstiennent néanmoins de toute critique directe du Président Ben Ali ou de son entourage. Selon Le Monde, ces propos « n'apprennent rien à beaucoup de Tunisiens, mais détonnent dans le paysage médiatique » jusqu'alors sous contrôle total du ministère de la Communication.
Les mouvements sociaux se poursuivent le 31 décembre 2010 alors que les avocats à Tunis continuent de se mobiliser à l'appel de l'Ordre national des avocats de Tunisie. Mokhtar Trifi, président de la Ligue tunisienne des droits de l'homme, déclare que des avocats ont été « sauvagement battus ». À la fin décembre, pour Brian Whitaker, journaliste au quotidien The Guardian, les manifestations sont suffisantes pour mettre un terme à la présidence de Zine el-Abidine Ben Ali, la situation ressemblant selon lui à celle de la fin du régime de Nicolas  Ceaușescu en Roumanie en 1989. Pour Al Jazeera, ce « soulèvement » est la conséquence « d'une combinaison mortelle de pauvreté, de chômage et de répression politique : trois caractéristiques de la plupart des sociétés arabes ».

Mouvement qui prend de l'ample

Les manifestations continuent et le mouvement se renforce progressivement des différentes composantes de la société tunisienne. Le 6 janvier, ce sont les avocats qui se mettent en grève par milliers pour protester contre les violences policières. Le 8 janvier, un commerçant âgé de 50 ans s'immole à son tour à Sidi Bouzid.
 Les affrontements entre manifestants et forces de l'ordre sont de plus en plus meurtriers : les 8 et 9 janvier, quatorze civils sont tués par balle à Thala, Kasserine et Regueb selon le gouvernement, vingt selon l'opposition, au moins vingt-trois selon le journal Le Monde. Le 10 janvier, un jeune diplômé de Sidi Bouzid met fin à ses jours, portant à cinq le nombre de suicides depuis celui de Mohamed Bouazizi. Les affrontements se poursuivent dans le triangle Thala-Kasserine-Regueb : des marches funèbres à la mémoire des morts des jours précédents dégénèrent en nouveaux affrontements avec la police ; un nouveau bilan établi par un responsable syndical fait état d'au moins cinquante morts et le personnel de l'hôpital de Kasserine proteste officiellement « contre le nombre élevé de victimes et la gravité des blessures ». À Tunis, les étudiants manifestent et la police anti-émeute assiège l'Université El Manar dans laquelle des centaines d'étudiants se sont retranchés. 
Des émeutes de cette ampleur sont rares dans ce pays : ce sont les troubles les plus importants auxquels le pays ait été confronté depuis les émeutes du pain, en 1984, ainsi que le rapporte le journal Le Monde.
Le président Ben Ali reprend la parole le 10 janvier pour dénoncer les « voyous cagoulés aux actes terroristes impardonnables […] à la solde de l'étranger, qui ont vendu leur âme à l'extrémisme et au terrorisme ». Il annonce la création de trois cent mille emplois en deux ans et la fermeture temporaire de tous les établissements scolaires et universitaires. Quelques minutes après le discours du président, des émeutes éclatent à Bizerte ou des manifestations lycéennes ont eu lieu dans la matinée. Les émeutiers affrontent les forces de l'ordre dans divers endroits de la ville et mettent le feu au bureau régional de l'emploi. Des scènes similaires sont enregistrés à Gafsa.

Le 12 janvier, une grève générale est déclenchée à Sfax. Le Premier ministre Mohamed Ghannouchi annonce le limogeage du ministre de l'Intérieur Rafik Belhaj Kacem ainsi que la libération de toutes les personnes arrêtées depuis le début du conflit dans l'optique d'apaiser la révolte. L'après-midi des affrontements se produisent à Bizerte et à Jbeniana où les forces de l'ordre se retirent. À Bizerte, on assiste à des scènes de saccage de certains commerces. Les habitants de la ville soupçonnent des miliciens d'être derrière les pillages et commencent à s'organiser en groupes d'auto-défense.
Les annonces ne calmant pas le mouvement, Zine el-Abidine Ben Ali annonce le 13 janvier au soir qu'il ne se représentera pas en 2014 au poste qu'il occupe ; il donne aussi l'ordre à la police de ne plus tirer sur les manifestants, promet la liberté pour la presse et Internet et annonce une baisse des prix de certains produits alimentaires de base .Deux millions d'utilisateurs Tunisiens de réseaux sociaux Facebook et Twitter l'insultent directement après son discours .
Le lendemain, l’armée est déployée à Tunis. En dépit de cela, de nouveaux affrontements, qui éclatent au cœur de Tunis la capitale, sont réprimés par les forces de l'ordre par le biais de tirs de gaz lacrymogènes. En fin d'après-midi, le leader communiste Hamma Hammami est arrêté à son domicile près de la capitale. À Douz, dans le sud du pays, deux civils sont tués et un autre mort est rapporté à Thala et cinq civils sont blessés par balle à Sfax. Au matin du 13 janvier, la Fédération internationale des droits de l'homme affirme détenir une liste nominative de soixante-six personnes tuées depuis le début des évènements. Un jeune manifestant est tué par balles au cœur de Tunis dans l'après-midi alors que des troubles éclatent dans la station balnéaire d'Hammamet où un poste de police et une permanence du parti au pouvoir sont détruits ainsi que des résidences cossues, dont l'une appartiendrait selon des habitants à un proche du chef de l'État
Le 14 janvier 2011 à 15 h 15 GMT, le président Ben Ali annonce le limogeage du gouvernement et des élections législatives anticipées dans les six mois, puis à 16 heures GMT, décrète l'état d'urgence et le couvre-feu.

Fuite de Ben Ali

Le président déchu Ben Ali 
Cependant, la contestation prend encore de l'ampleur tandis que l'armée refuse de suivre Ben Ali et protège les manifestants contre les policiers, ce qui contraint le président tunisien à quitter le pays à l'instar d'une partie de ses proches et à se rendre en Arabie saoudite après une escale à Malte. Ce départ se fait dans l'espoir d'un retour rapide que devait susciter le chaos orchestré par les services de l'intérieur et la police présidentielle, dans un plan imaginé par le général Ali Seriati, chef du renseignement et patron de la garde présidentielle, Abdelwahab Abdallah, proche conseiller de Ben Ali et dont l'épouse préside la Banque de Tunisie, ainsi que par Abdelaziz Ben Dhia, directeur de cabinet du président.
Plusieurs membres de la famille Trabelsi sont arrêtés avant de pouvoir fuir le pays. Une rumeur prétend qu'Imed Trabelsi, symbole de la corruption de l'ancien régime, a trouvé la mort dans les troubles, ce qui sera démenti plusieurs jours plus tard par les autorités faisant état de son arrestation puis de sa fuite à l'étranger.
Aux alentours de 18 heures, le Premier ministre, Mohamed Ghannouchi, annonce qu'il entend assurer la présidence par intérim au nom de l'article 56 de la constitution. Mais dès le lendemain, le président du Parlement tunisien, Fouad Mebazaa, est proclamé Président de la République tunisienne par intérim par leConseil constitutionnel en vertu de l'article 57 de la Constitution, écartant ainsi la possibilité d'un retour à la tête de l'État de Zine el-Abidine Ben Ali, contrecarrant ainsi le plan de retour imaginé par la garde rapprochée présidentielle. Fouad Mebazaa est chargé d'organiser l'élection présidentielle à venir, que la Constitution prévoit normalement dans un délai de soixante jours.

Exactions et pillages

Dès le soir du 14 janvier et les jours suivants, des bandes de fidèles du régime benaliste, armés et utilisant des 4x4, parcourent les rues de Tunis puis des autres villes de Tunisie, afin de semer la terreur et le désordre. Le 16 janvier, à la suite des nombreuses exactions et pillages opérés par des bandes armées de miliciens, un mandat d'arrêt est lancé contre le général Ali Seriati, chef de la sécurité de Ben Ali, accusé de fomenter ces manœuvres de déstabilisation et de « complot contre la sécurité intérieure de l'État ». Ce dernier est arrêté alors qu'il tente de fuir en Libye. Les Tunisiens s’organisent en comités de quartier pour se protéger : selon Benoît Delmas, la révolution s’est joué dans ces cinq jours-là. Ben Ali n’est pas revenu, mais l’union nationale ne s’est pas créée.
Par ailleurs, Kaïs Ben Ali, neveu du président déchu et potentat de M'saken y est interpellé par l'armée. Rafik Belhaj Kacem, le dernier ministre de l'Intérieur de Ben Ali, limogé le 12 janvier, est à son tour arrêté dans sa région natale de Béja.
Dans la capitale et en province, les citoyens s'organisent — parfois avec le soutien de l'UGTT — en comités de vigiles pour défendre leurs quartiers face aux pillards qui ont désorganisé les circuits de distribution des denrées de première nécessité, occasionnant un début de pénurie dans la capitale.Le diplomate et écrivain Mezri Haddad, ambassadeur tunisien démissionnaire auprès de l'Unesco, accuse Ben Ali d’avoir « prémédité l’anarchie » en vue de reprendre le pouvoir, fournissant des armes et de l'argent à sa garde rapprochée afin de provoquer la guerre civile tout en sollicitant une intervention militaire libyenne. Le gendre de Ben Ali, Slim Chiboub, affirme que huit cents voitures remplies d'explosifs ont été disséminées à travers tout le pays par les dirigeants de la police tunisienne, principalement à Tunis. L’action des milices pro-benalistes est soutenue par le dictateur libyen Kadhafi, qui les accueille selon Pierre Vermeren dans l’émission présentée par Marie-France Chatin, « Les révoltes arabes, six mois après », Radio France internationale, 26 juin 2011 et les laisse installer des bases en Libye

Rôle de l'armée

Plusieurs rumeurs concernant le rôle de l'armée nationale tunisienne ont été reprises pendant la révolution induisant les observateurs en erreur, notamment concernant un probable rôle majeur dans le renversement du président.
Ces rumeurs ont été alimentées par le fait qu'elle ait été jugée trop neutre au début des événements et qu'une partie des troupes fraternisaient avec les manifestants alors que les affrontements restent très durs avec la police fidèle au gouvernement.
C'est également ce qu'a conclu l'ancien chef d'état-major français et ancien ambassadeur en Tunisie, l'amiral Jacques Lanxade, expliquant que le général Rachid Ammar, dont des rumeurs le présentant comme démissionnaire, refusant de faire tirer l'armée ont circulé à son sujet, aurait conseillé à Ben Ali de s'en aller en lui disant : « Tu es fini ! ». Cette version des faits est démentie initialement par le ministre de la Défense Ridha Grira, qui affirme que Ammar était en poste le 14 janvier et avait été nommé coordinateur des opérations, et par Ali Seriati, qui a déclaré l’avoir contacté le même jour sur instruction du président pour ramener des blindés de Zarzis vers la capitale.

Ce n'est qu'au mois d’août, soit environ sept mois après la fuite de Ben Ali, que les autorités qui assurent la transition démocratique en Tunisie ont décidé de lever le mystère dévoilant la brève rébellion qui a été menée par le colonel Samir Tarhouni et qui a poussé le président déchu à fuir le pays vers l'Arabie saoudite à partir de l'aéroport militaire de l'Aouina. Par contre une unité de l'armée s'était interposée entre l’aéroport civil, dont la BAT, sous les ordres du colonel Tarhouni, a pris le contrôle, et l’aéroport militaire suite à des instructions de son commandement qui lui avait ordonné d'empêcher de nuire des « agents corrompus de la police (qui) tentent de semer le désordre et menacent la sécurité nationale ainsi que celle du président ».

Premier gouvernement de transition

Les partis d'oppositions « illégaux » ne sont pas conviés à ces négociations : ni le Parti communiste des ouvriers de Tunisie (PCOT) — dont le porte-parole Hamma Hammami avait été arrêté le 12 janvier pour avoir appelé au départ de Ben Ali, à la dissolution des institutions du régime et à la tenue d'élections libres et transparentes —, ni le parti islamiste Ennahda de Rached Ghannouchi — exilé à Londres et qui annonce son retour —, ni le Congrès pour la république (CPR) — parti de gauche laïque de l'opposant Moncef Marzouki (Nommé Président de la République Tunisienne le 14 Décembre 2011)  — ne sont présents aux négociations.
À la suite de négociations sous la houlette de Mohamed Ghannouchi avec certains partis d'opposition « légale », le pouvoir intérimaire annonce au soir du 16 janvier 2011 la constitution d'un gouvernement provisoire dont seraient exclues les figures importantes du régime Ben Ali. Maya Jribi, secrétaire générale du Parti démocrate progressiste (PDP) annonce qu'un nouveau gouvernement écartant les partis pro-gouvernementaux serait mis en place pour le 17 janvier, composé de représentants du Mouvement Ettajdid, du Forum démocratique pour le travail et les libertés (FDTL) et du PDP, rejoints par des personnalités indépendantes.
Ainsi, tandis que six « anciens » parmi lesquels les ministres des Affaires étrangères — Kamel Morjane —, de l'Intérieur — Ahmed Friaâ—, des Finances — Mohamed Ridha Chalghoum —, et de la Défense — Ridha Grira —, du précédent gouvernement et membres du RCDpeuvent conserver leurs postes régaliens à la condition d'abandonner leur étiquette partisane, Ahmed Néjib Chebbi (PDP) se voit confier le ministère du Développement régional, Mustapha Ben Jaafar (FDTL) celui de la Santé, et Ahmed Brahim (Ettajdid), celui de l'Enseignement supérieur. Le délai de soixante jours paraissant court pour organiser des élections pluralistes dans de bonnes conditions, la tenue d'élections sous supervision internationale dans un délai de six à sept mois est évoquée91.
Des personnalités de la société civile complètent le gouvernement : Taïeb Baccouche, ancien secrétaire général (1981-1984) de l'Union générale tunisienne du travail (UGTT) prend en charge l'Éducation ; l'ancien bâtonnier Lazhar Karoui Chebbi, la Justice ; tandis que l'ambassadeur et opposant Ahmed Ounaies occupe le secrétariat d'État aux affaires étrangères. La cinéaste Moufida Tlatli, qui avait souscrit à l'appel en faveur de la représentation de Ben Ali pour un cinquième mandat, est nommée à la Culture et le blogueur Slim Amamou se voit confier le secrétariat d'État à la jeunesse et aux sports.
Moncef Marzouki est le premier homme politique à se porter candidat à l'élection présidentielle, dès le 16 janvier 2011, et annonce son retour d'exil. De son côté, Rached Ghannouchi, leader d'Ennahdha — qui compare son parti à l'AKP turc — indique que ce dernier ne compte pas présenter de candidat à la future élection présidentielle mais que le mouvement islamiste compte participer aux législatives. En vertu d'un accord qui aurait été passé avec d'autres partis de l'opposition, Ennahdha aurait notamment accepté le statut de la femme et le droit à l'avortement.
Le 17 janvier 2011, peu après 17 heures, une fois le gouvernement de transition constitué et rendu public, Mohamed Ghannouchi annonce successivement la libération de tous les prisonniers d'opinion, la levée de l'interdiction d'activité de la Ligue des Droits de l'Homme et la liberté totale de l'information. Le ministère de la Communication, accusé de censurer la presse et d'empêcher la liberté d'expression, est par ailleurs supprimé.

Institutions de transition

Yadh Ben Achour, spécialiste des théories politiques islamiques et de droit public, ancien doyen de la faculté des sciences juridiques de Tunis, démissionnaire du Conseil constitutionnel en 1992 et opposant au régime, est nommé à la tête de la Commission de réforme des textes et des institutions en vue de les nettoyer des dispositifs mis en place par le régime Ben Ali pour empêcher toute opposition. La commission a pour mission de réformer les lois, notamment dans le domaine pénal, mais aussi les lois sur les associations, sur la création de partis politiques, le code de la presse. Le Conseil de protection de la révolution, où des personnalités révolutionnaires, des associations (Ligue tunisienne des droits de l'homme, Association tunisienne des femmes démocrates, ordre des avocats), l'UGTT et douze partis sont représentés avait une forte légitimité issue de la révolution et pouvait la concurrencer, voire créer une crise politique. Leur fusion est donc intervenue, formant ainsi une institution de 155 membres aux pouvoirs concurrents du Parlement.
Une deuxième commission est formée, la Commission nationale d’établissement des faits sur les affaires de corruption, sous la présidence d’Abdelfattah Amor. Celle-ci cherche à établir la listes des actifs du clan Ben Ali-Trabelsi, qui consiste en :
  • comptes à l’étranger : Suisse, Dubaï, Liban, Qatar, Malte, Bahamas, difficile à localiser et à récupérer ;
  • biens immobiliers en Tunisie ;
  • participations dans des sociétés tunisiennes ;
  • et les trésors dispersés dans les palais du dictateur : meubles, bijoux, tableaux, et des billets de banque en de multiples devises : dollars, euros, dinars, etc. pour un montant total de 25 millions d’euros.
La censure sur les publications écrites est levée le 22 janvier.

Remises en questions

Le nouveau gouvernement ne convainc pas. Des manifestations spontanées et des affrontements éclatent le 17 janvier à la mi-journée à Tunis et dans d'autres villes comme Sidi Bouzid et Regueb, avant la proclamation dudit gouvernement pour protester contre sa composition jugée « trop RCD » et pour la dissolution du parti présidentiel.

Le puissant syndicat unique UGTT désavoue le nouveau cabinet, estimant que l'accord sur sa composition n'a pas été respecté, en retire ses trois ministres. Le mouvement Ettajdid parle de se retirer lui aussi si les membres du RCD encore présents au gouvernement ne le font pas et le FDTL annonce « suspendre sa participation ». Concomitamment, le Premier ministre et le président par intérim annoncent leur démission du RCD, ainsi que celle de plusieurs personnalités importantes de ce parti. Néanmoins le FDLT et l'UGTT, à travers Khalil Zaouia, dénoncent une politique du fait accompli, la présence de personnalité comme Moncer Rouissi, « éminence grise » de Ben Ali, aux Affaires sociales ou encore de Zouheir M'dhaffer, la « plume » de l'ancien président et auteur de la réécriture « sur mesure » de la Constitution, nommé responsable du développement administratif.Dès le lendemain, le 18 janvier, des milliers de personnes manifestent à travers le pays pour protester contre la présence des ministres du dernier gouvernement Ben Ali dans le gouvernement de transition. À Tunis, la police fait de nouveau usage de gaz lacrymogènes pour disperser les partisans de l'opposition et les syndicalistes dénonçant le nouveau gouvernement comme une « mascarade ». Ahmed Mestiri, ancien ministre de Bourguiba et fondateur du Mouvement des démocrates socialistes (MDS) dénonce l'accaparement des centres du pouvoir et des postes de souveraineté par des collaborateurs fidèles de Ben Ali, déplore la participation de membres de l’opposition et de l’UGTT, et considère que ce gouvernement provisoire est « une aventure illusoire et sans issue où ont été entraînés quelques naïfs ».
À la suite de ces défections, et malgré le refus de l'UGTT de revenir sur sa position, la première réunion du gouvernement provisoire qui devait se tenir le 19 janvier est reportée au lendemain, avec pour ordre du jour prévus un projet d'amnistie générale ainsi que la séparation entre l'État et le RCD. C'est dans ce dernier objectif et pour tenter d'apaiser la contestation contre le gouvernement transitoire affaibli que le 20 janvier, les ministres toujours affiliés à l'ancien parti présidentiel annoncent l'avoir quitté eux aussi.Le RCD annonce de son côté la radiation de Ben Ali et six de ses collaborateurs « sur la base de l'enquête menée au niveau du parti, à la suite des « graves événements » qui ont secoué le pays ».
Si officiellement, le RCD se retrouve évincé du gouvernement et malgré les engagements du président intérimaire Fouad Mebazaa d'une « rupture totale avec le passé », cela n'éteint pas pour autant la contestation des manifestants, qui s'opposent dans la rue — devant le siège de l'ancien parti présidentiel — à la présence aux postes-clés du gouvernement d'union nationale de ces anciens membres du précédent gouvernement Ben Ali, tandis que le gouvernement de transition doit se réunir pour la première fois. Peu avant cette première réunion, un ministre contesté, Zouheir M'dhaffer, annonce sa démission de ce gouvernement.

Actions judiciaires et ruptures

Gel des avoirs

Dès le 15 janvier, La France annonce prendre des dispositions pour bloquer administrativement tout mouvement financier suspect concernant des avoirs tunisiens dans le pays et charge le Trac fin — chargé de la lutte contre le trafic de capitaux — d'empêcher la fuite des avoirs financiers détenus en France par l'ancien président tunisien et ses proches. Le 17 janvier, trois ONG déposent plainte pour recel d'abus de biens sociaux, blanchiment et recel de détournement de fonds publics, afin d'obtenir une enquête sur les biens détenus par l'ancien président et son entourage et le gel de ceux-ci. Le 19 janvier, la Suisse annonce à son tour qu'elle bloque les biens de Ben Ali et de son entourage ainsi que d'éventuels fonds illégaux, certains membres du clan Ben Ali s'étant rendu en Suisse à diverses reprises au cours des derniers mois.
Le lendemain l'Union européenne annonce qu'elle entend également prendre de telles dispositions de blocage, au terme d'un processus qui doit être avalisé le 31 janvier 2011 par les ambassadeurs européens représentant leur pays auprès de l’Union ou par les ministres des Affaires étrangères. Ces dispositions ont pour cadre plus général un ensemble de mesures de soutien — notamment économiques — qui devraient prendre place en faveur des nouvelles autorités tunisiennes. La lenteur de la réactivité de l'Union en la circonstance à travers la Haute représentante aux Affaires étrangères, Catherine Ashton, fait l'objet de critiques.
Le 20 janvier 2011, un communiqué du Conseil mondial de l'or , tend à confirmer l'idée que la famille Ben Ali se serait enfuie avec une tonne et demie d'or — représentant une valeur de 45 millions d'euros — subtilisée aux réserves d'or du pays.

Actions judiciaires

Le même jour, en Tunisie, une enquête judiciaire visant nommément Zine el-Abidine Ben Ali, son épouse Leïla Ben Ali, leur proches ainsi que de « toute personne dont l'enquête prouvera l'implication dans ces crimes » est ouverte. Elle porte sur l'« acquisition illégale de biens mobiliers et immobiliers », des « placements financiers illicites à l'étranger » et l'« exportation illégale de devises ».
Le lendemain, la télévision nationale annonce l'arrestation de trente-trois membres du clan Ben Ali-Trabelsi, sans en préciser les noms, et montre des images de nombreux bijoux, montres et cartes bancaires internationales saisis lors des arrestations. Deux jours auparavant, Naïma Ben Ali, sœur aînée de l'ancien président, qui avait déjà des problèmes de santé, avait succombé à une crise cardiaque à Sousse.
Le 23 janvier, l'agence de presse officielle Tunis Afrique Presse (TAP) annonce l'arrestation pour haute trahison et complot contre la sécurité de l'État de Larbi Nasra, propriétaire de Hannibal TV, première chaîne de télévision privée en Tunisie, lié au clan Trabelsi et accusé de diffuser de fausses informations afin de favoriser le retour de Ben Ali. Il est libéré le lendemain en annonçant sur son antenne que les charges à son encontre sont levées.
Le même jour, on annonce le placement en résidence surveillée des proches collaborateurs de l'ancien président Ben Ali, Abdelaziz Ben Dhia, Abdallah Kallel — président de la chambre haute du Parlement — et Abdelwahab Abdallah.

Nouvel exécutif


Les protestations populaires de masse tendent à se réduire au profit de multiples manifestations et, en tout état de cause, eu égard au complet discrédit dont fait l'objet la police après sa répression violente et meurtrière des manifestations avant la fuite du président qui a officiellement occasionné la mort d'au moins soixante-dix-huit personnes, le gouvernement transitoire s'appuie sur l'armée pour le maintien de l'ordre
.Dans le même temps, le bureau politique du RCD s'auto-dissout, ce qui est interprété par certains observateurs comme une manière de se saborder tandis que d'autres soulignent que son éventuel démantèlement ne sera pas une chose aisée. Son secrétaire général, Mohamed Ghariani reste chargé de la gestion des affaires courantes.À l'issue du premier conseil ministériel du cabinet de transition, le porte-parole du gouvernement Taïeb Baccouche annonce un deuil national de trois jours « en mémoire des victimes des récents événements », la récupération par l'État tunisien des biens mobiliers et immobiliers du RCD et confirme la validation du projet de loi d'amnistie pour les mille huit cents prisonniers politiques ainsi que la reconnaissance de l'ensemble des mouvements politiques interdits.

Institutions de transition et de règlement de la crise

Dans le même bâtiment, celui occupé il y a peu par la Banque de l'Habitat, trois commissions de gestion de la transition sont installées :
  • la commission sur la réforme des lois présidée par Yadh Ben Achour ;
  • la commission d'enquête sur la corruption ;
  • et une commission indépendante d'enquête sur le rôle des forces de sécurité dans la répression sanglante des manifestations.

Législatif inchangé

Tandis que l'exécutif transitoire multiplie, avec un succès mitigé, les signes d'apaisement à destination de la rue, certains observateurs notent que le Parlement bicaméral issu de la réforme constitutionnelle du 1er juin 2002 — et passage obligé des réformes législatives dans le cadre constitutionnel — demeure formellement entièrement acquis au RCD et à l'ancien président. L'ancien bâtonnier Abdessatar Ben Moussa fait néanmoins valoir que dans la période de transition, un décret-loi présidentiel suffit pour l’adoption des projets de loi.

Nominations

Nommé le 17 janvier, Mustapha Kamel Nabli entre en fonction à la tête de la Banque centrale de Tunisie en remplacement de Taoufik Baccar et nomme Slaheddine Kanoun comme administrateur provisoire de la Banque Zitouna, victime d'une crise de confiance de certains acteurs économiques à la suite de la fuite à l'étranger de son fondateur Mohamed Sakhr El Materi, gendre du président déchu. Le 21 janvier, la Banque de Tunisie détenue majoritairement par Belhassen Trabelsi, le beau-frère de Ben Ali, est aussi placée sous tutelle de la Banque centrale ; un administrateur provisoire est également nommé, Habib Ben Sâad. Le nouveau Gouverneur dénonce aussitôt la baisse de la note de dette de Tunisie par l'agence de notation Moody's, décision qualifiée d'arbitraire et d'illégitime.
Le 24 janvier, les autorités transitoires annoncent la nomination de Habib Belaïd à la présidence de l'Établissement de la radio tunisienne qui dirige toutes les radios nationales tunisiennes.

Poursuite des protestations

L'UGTT continue de réclamer la dissolution du gouvernement de transition et la formation d'un cabinet « de salut national, collégial, répondant aux exigences de la rue et des partis politiques » qui écarte les personnalités de l'ancien régime. Sous la pression des manifestations qui continuent à divers endroits, le Premier ministre Mohamed Ghannouchi annonce le 21 janvier dans une intervention télévisée qu'il quittera la politique une fois la transition assurée. Il confirme en outre l'abrogation de « toutes les lois antidémocratiques », la préservation des acquis sociaux, la protection du statut des femmes tunisiennes ainsi que le maintien de la gratuité de l'enseignement et l'accès aux soins médicaux pour tous.
Le 22 janvier 2010, les manifestations appelant à un nouveau gouvernement débarrassé des caciques de l'ancien régime se poursuivent tandis que s'y additionnent des revendications sociales et sectorielles : des employés de mairie réclament une amélioration de leurs conditions de travail, des employés de ménage dans les entreprises réclament des augmentations de salaires, … En outre, de nombreux policiers en civil ou en uniforme défilent à Tunis et en province, se présentant comme des « Tunisiens comme les autres », pour réclamer la création d'un syndicat de police, dénonçant leurs conditions de travail et leur salaire.
Mustapha Ben Jaafar pointe le décalage et l'incompréhension entre les cadres de l'exécutif — sous-estimant le rejet dont ils font l'objet — et les aspirations de la population à rompre avec le régime de Ben Ali.

« Caravane de la libération »


La « caravane de la libération » devant le siège du gouvernement, le 23 janvier 2011
Le 22 janvier 2011, à l'initiative de jeunes habitant le centre-ouest de la Tunisie, la région d'où est parti le mouvement qui a conduit à la révolution, une « caravane de la libération » rassemblant plusieurs centaines de personnes marche sur Tunis pour réclamer le départ du gouvernement des personnalités de l'ancien régime. Partie de Menzel Bouzaiane — où les premières victimes de la révolte populaire étaient tombées dès le 24 décembre —, de Sidi Bouzid et de Regueb, cette marche pacifique spontanée est rejointe par des militants des droits de l'homme et par des syndicalistes.
Manifestants, le 23 janvier 2011
Manifestants, le 24 janvier 2011

Le cortège hétéroclite, alternant marche et trajets en véhicules, soutenu par la population, atteint Tunis le 23 janvier. Les jeunes manifestants, rejoints par des centaines de Tunisois, entament le siège dupalais Dar el Bey résidence du Premier ministre sur la place de la Kasbah (aussi appelée place du Gouvernement), déterminés à faire chuter le gouvernement de transition. Le gouvernement transitoire semble, selon divers observateurs, miser sur l'essoufflement du mouvement.

Plus tard dans la journée, les rangs des manifestants grossissent à nouveau jusqu'à plusieurs milliers de personnes sur l'esplanade de la Kasbah à proximité des bureaux du Premier ministre Mohamed Ghannouchi, persévérant dans leur exigence de voir le gouvernement de transition démissionner. L'armée continue de s'interposer entre les protestataires et les forces de l'Intérieur
145.Bravant le couvre-feu de manière à maintenir la pression sur l'exécutif, des centaines d'entre eux poursuivent le siège au cours de la nuit et, le 24 en matinée, quelques échauffourées se produisent quand les forces de l'ordre tentent d'exfiltrer des fonctionnaires des bâtiments et reçoivent des projectiles de la foule. Certains manifestants s'en prennent en outre aux vitres du ministère des finances et, pour la seconde fois depuis le 14 janvier, les forces de l'ordre jusque là circonspecte avec les protestataires font usage de gaz lacrymogène pour tenter de les disperser.

Dans l'après-midi du 24 janvier, sur la place de la Kasbah, le général Rachid Ammar tente d’apaiser les esprits et de mettre en garde les manifestant contre « la vacance du pouvoir qui engendre la dictature » et posant l'armée en « garante de la révolution ». Un peu plus tard, Taïeb Baccouche, porte-parole du gouvernement de transition, annonce l'imminence d'un remaniement ministériel tout en restant vague sur sa portée. Le soir venu, des centaines de manifestants tunisiens ressortent matelas et couvertures pour braver à nouveau le couvre-feu et poursuivre la pression sur le gouvernement provisoire dont ils réclament toujours la démission dans une occupation de la place relativement festive : une tente bédouine y fait son apparition et les protestataires y chantent et y dansent sans discontinuer150.

Bilan détaillé

Le ministère de la Santé tunisien publie un bilan détaillé des victimes de la révolution, alors que les chiffres gouvernementaux restaient à 78 morts depuis le 22 janvier, et que l'ONU dénombrait 300 victimes. Entre le 17 décembre et le 25 janvier, 166 personnes ont été tuées par balles et 74 détenus sont morts lors de révoltes, ce qui donne un premier total intermédiaire de 238 morts, compte non-tenu des morts d'autre causes (bastonnades…) et des morts dont la dépouille n'est pas passée par un hôpital. Les blessés graves, soignés dans un hôpital, sont au moins 1 207.
Le détail par ville est le suivant :
  • Tunis : 47 morts et 94 blessés par arme à feu ;
  • Bizerte : 29 morts ;
  • Sousse : 15 morts et 144 blessés graves ;
  • Kasserine : 12 morts et 81 blessés graves ;
  • Sidi Bouzid : 6 morts ;
  • Monastir : 48 morts dans l'incendie d'une prison.
Enfin, le jour de la fuite de Ben Ali a aussi été le plus meurtrier, avec au moins 31 tués, dont 18 à Tunis.

De Ghannouchi à Beji Caïd Essebsi

Alors que l'instabilité continue, environ un millier de personnes célèbrent, le 14 février, l'anniversaire du départ de Ben Ali. Le 11 février, diverses organisations de gauche forment le Conseil national pour la protection de la révolution (CNPR). Il regroupe des représentants de l’ordre des avocats, de la ligue tunisienne des droits de l'homme, du syndicat UGTT, du parti islamiste Ennahda, et du Front du 14-janvier. Il demande la convocation d’une assemblée constituante et la dissolution de toutes les institutions hérités de l’ère de Ben Ali, à savoir le Parlement, le RCD, la police politique ». Sa reconnaissance éventuelle par un décret présidentiel rencontre l’opposition du parti Ettajdid, du PDP, des Femmes Démocrates et du Syndicat des journalistes, qui ont refusé de le soutenir. Le Front du 14 janvier regroupe une douzaine de partis et de groupuscules d’extrême-gauche.
Un décret-loi du président de la République proclamant l’amnistie des prisonniers politiques est publié le 19 février, plus d’un mois après le départ de Ben Ali.
Béji Caïd Essebsi, deuxième premier ministre dans le gouvernement de transition
Pendant six semaines, la tension et les affrontements se prolongent, avec notamment des manifestations qui prennent pour cible le gouvernement Ghannouchi, qui refuse les revendications des manifestants et de différents organismes issus de la révolution, dont la principale est la convocation d’une assemblée constituante, à quoi s’ajoutent selon les tendances la démission du Premier ministre Ghannouchi, la dissolution définitive du Parlement et des commissions d’enquête post-révolutionnaires, une forte épuration judiciaire des bénalistes, la demande d’extradition de Ben Ali pour haute trahison. Les manifestants, plusieurs milliers, occupent les kasbahs de Tunis et Sfax à partir du 21 février, à l’appel notamment du CNPR. Ils obtiennent gain de cause le 27 février, avec une manifestation de 100 000 personnes à Tunis qui pousse à la démission le Premier ministre, remplacé par Béji Caïd Essebsi, plusieurs fois ministre sous Bourguiba. Ce nouveau tour de force contestataire a coûté 5 morts et 88 manifestants arrêtés. Des indices laissent penser que certains casseurs seraient payés par des cadres du RCD.
La démission du Premier ministre est suivie de celles de cinq de ses ministres :
  • le lendemain 28 février, de celle du ministre de la Planification et de la Coopération internationale, Mohamed Nouri Jouini, et de celle de Mohamed Afif Chelbi, ministre de l'Industrie depuis 2004;
  • et le surlendemain, 1er mars, de celles du ministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique, Ahmed Brahim, et du ministre du Développement régional et local, Ahmed Néjib Chebbi. Ils étaient les seuls représentants de l'opposition. Elyès Jouini, ministre chargé des Réformes économiques et sociales, démissionne également.
Le 7 mars 2011, le ministre de l'Intérieur annonce la dissolution de la sûreté de l'État et de la police politique : cette mesure est saluée comme l’acquis le plus important de la révolution.
Les revendications se font jour dans tous les domaines : un sit-in bloque la route nationale 1 et l’autoroute Tunis-Sousse, pour exiger la fermeture d’une usine polluante à Chkarnia. Les sit-ins, qui regroupent souvent peu de monde, témoignent du malaise persistant. Le régime, qui reste dirigé par des anciens du régime policier de Bourguiba, n'obtient cependant pas l'adhésion populaire, et la méfiance règne de part et d'autres : les comités pour la protection de la révolution se créent ou se maintiennent (celui de Sidi-Bouzid créé le 11 mars), et le couvre-feu également. Ces comités prennent des décisions au niveau local.

Organisation des élections du nouveau régime

La date retenue pour l'élection d'une Assemblée constituante est d’abord fixée au 24 juillet, le 3 mars. Le scrutin retenu par la Haute instance présidée par Ben Achour est le scrutin de liste à la proportionnelle, avec une parité hommes-femmes et les femmes en position éligible. Une instance de supervision des élections est également créée, sur pression des manifestants, afin d'éviter toute manipulation des résultats par le ministère de l'Intérieur. Devant les difficultés de mise à jour des listes électorales (400 000 non inscrits, 13 % d’inscrits à une fausse adresse), la date d’élection de l’Assemblée constituante est repoussée au 23 octobre. Dix-neuf des sièges sont réservés aux Tunisiens de l’étranger, dont dix pour les Tunisiens en France.
Quatre-vingt deux partis se créent entre le départ de Ben Ali et la mi-juin, dont certains créés par les anciens ministres benalistes Ahmed Friaâ (Intérieur) ou Kamel Morjane (Affaires étrangères), ou encore le parti Al-Watan, de l’ancien ministre de la Défense Mohamed Jegham. L’un des partis qui dispose du plus de moyens financiers est le Parti démocrate progressiste, de Ahmed Néjib Chebbi et Maya Jribi.

Poursuite de l'épuration

Un autre décret-loi pris le 25 février et publié le 29 mars exproprie 114 personnes proches du président au bénéfice de l'État tunisien ; une commission doit lister les biens concernés. Ainsi, le 29 mars, les 51 % d'Orange Tunisie détenus par le gendre de Ben Ali, Marouane Mabrouk, sont confisqués par l'État tunisien. L'État se retrouve ainsi propriétaire des trois réseaux de téléphonie mobile du pays, avec Tunisie Télécom (65 % du capital) et Tunisiana, dont il a récupéré les 25 % d'un autre gendre de Ben Ali.
Le Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD), ancien parti au pouvoir, déjà dissous le 9 mars par le tribunal de première instance de Tunis (avec liquidation de tous ses biens et fonds par le biais du ministère des Finances), est définitivement abattu le 11 avril. Son secrétaire général Mohamed Ghariani, suspecté d'avoir organisé les milices responsables du chaos et de l'insécurité depuis début janvier, est arrêté. Le même jour, les 140 membres de la Haute instance pour la réalisation des objectifs de la révolution, de la réforme politique et de la transition démocratique, adoptent un décret-loi qui exclut pour dix ans de la vie politique tunisienne tous les responsables du RCD et les ministres de Ben Ali : les postes concernés sont les membre du bureau exécutif, du comité central, les secrétaires généraux des comités de coordination et tous les présidents de cellule. La Haute instance proposait que toute personne ayant occupé un de ces postes entre 1987 et 2011 soit interdit d'élections ; le premier ministre a finalement choisi de la limiter à dix ans (2001-2011).
Cette épuration ne touche cependant que peu la police, qui continue à torturer comme avant la révolution, selon un rapport d’octobre de l’Association de lutte contre la torture (tunisienne).

Climat tendu

Les milices benalistes continuent de maintenir un climat tendu, voire de « terreur ». Outre les nombreuses exactions qu’on leur attribue, ils auraient profité d’une grève aux prisons de Gafsa et Kasserine pour les incendier et favoriser l’évasion de 800 détenus fin avril. Une procédure judiciaire est lancée contre l’ancien dictateur pour ces faits.
Autre signe d’un climat qui ne s’apaise pas, les revendications du premier 1er mai, jour de la fête des travailleurs, et les revendications sociales sont nombreuses, mêmes si elles sont soutenues par peu de manifestants ce jour-là, lors du défilé sur l’avenue Habib Bourguiba à Tunis. Aussi on peut citer les paroles de l'ancien Ministre de l'intérieur M..Farhat Rajhi qui accuse le général Rachid Ammar de préparer un coup d'état au cas où le parti islamiste Ennadha gagne les élections.

Conséquences économiques

Le coût total des destructions lors des manifestations est évalué à 1,4 milliards d'euros.
Le secteur de l'industrie exportatrice connaît une forte hausse de son activité, 18,5 % au premier trimestre 2011 par rapport à l'année précédente, et malgré un recul de 15 % en janvier, vite rattrapé en février (+ 8,6 %) et surtout mars (+ 24,6 %). Ce rebond s'explique par une très forte motivation des salariés, explicable peut être par le climat instauré par la révolution (illustré par le changement d'une vingtaine de patrons d'entreprises publiques) et par les hausses de salaires de 8 à 12 % attendues pour le mois de mai. Le ministre de l’Industrie et de la technologie indique cependant que la production industrielle a baissé de 9 % sur les cinq premiers mois de l’année.
L’industrie textile a vu ses exportations augmenter de 10 % entre janvier et juin, par rapport à l’année précédente : la révolution n’a donc pas eu de conséquences négatives pour le secteur. Les ouvriers y ont parfois bénéficié de hausses de salaire substantielles ; des entreprises, auparavant découragée par le racket du clan Trabels, ou par les violations des droits de l’homme, se disent désormais intéressées par des investissements en Tunisie.
Cependant, la baisse d’activité du tourisme est de 45 à 55 % sur les quatre premiers mois de l’année, et le FMI estime en avril que la croissance du PIB sera de 1,3 %, contre 3,7 % en 2010. La Banque centrale de Tunisie prévoie elle une croissance de 1 % seulement, un chiffre repris par un collectif d'économiste5 : cette croissance sera insuffisante pour fournir du travail aux cent quarante mille nouveaux demandeurs attendus d'ici juillet (vingt mille emplois perdus en janvier du fait de la révolution, cinquante mille rapatriés de Libye et soixante-dix mille jeunes).

Les procès Ben Ali

Le 20 juin, Zine el-Abidine Ben Ali est condamné une première fois lors d'un procès très rapide à 35 ans de prison pour détournement de fonds. Ce procès par contumace est critiqué car il utilise l’ancien code pénal tunisien, et que les avocats n’ont pas pu plaider.
Des poursuites judiciaires et arrestations sont également menées contre certains membres des familles Ben Ali et Trabelsi.

Le « printemps arabe »

Immolations dans les pays arabes

Les dirigeants des pays arabes voisins regardent la révolution tunisienne avec méfiance, la peur d'une « contagion » est réelle. D'autres immolations par le feu ont lieu dans d'autres pays d'Afrique suite au geste de Mohamed Bouazizi et sont interprétées par les médias comme la volonté des peuples des pays concernés à imiter l'exemple tunisien et à renverser le régime en place.
En Algérie, dès le 12 janvier, plusieurs personnes tentent de s'immoler : dans l'enceinte de la sous-préfecture de Bordj Menaïel, le 14 devant un commissariat de police de la ville de Jijel, le 15 janvier devant la mairie de la ville minière de Boukhadra, le 16 janvier devant le siège de la sûreté de la wilaya de Mostaganem, le 17 janvier dans l'enceinte du siège de l'assemblée départementale dans la région d'El Oued ; le même jour une femme tente de s'immoler en pleine Assemblée populaire communale (APC, mairie) de la localité de Sidi Ali Benyoub, à quelque 450 km au sud-ouest d'Alger.
Le 17 janvier, en Mauritanie, un homme s'immole dans sa voiture devant le Sénat à Nouakchott. Au Maroc, trois personnes tentent de s'immoler à la suite des événements de Tunisie.
En Égypte, un homme s'immole le 17 janvier devant l'Assemblée du Peuple au Caire. Le 18 janvier, un avocat d'une quarantaine d'années tente de s'immoler devant le siège du gouvernement au Caire, puis un déficient mental tente le même geste à Alexandrie.

Déclenchement de révolutions populaires

Les manifestations et grèves qui commencent le 25 janvier 2011 se transforment en révolution et aboutissent au départ du président Hosni Moubarak. Les slogans « Moubarak dégage » ou bien « la Tunisie est la solution » ont été les maîtres-mots de ces manifestants égyptiens.
Le 27 janvier, un ancien militaire de 26 ans s'immole par le feu à Hasaké, au nord-est de la Syrie mais les autorités syriennes imposent un black-out sur l’évènement. Mais en Syrie aussi, la protestation enfle (voir Révolte syrienne de 2011).
Le 28 janvier 2011, des manifestations ont lieu en Jordanie pour demander le départ de Samir Rifaï.
Le 14 février, une révolution commence à Bahreïn.
Principalement depuis le 18 février 2011, la protestation en Libye prend de l'importance avec, entre autres, la contestation du « guide »Mouammar Guadhafi au pouvoir depuis 41 ans, et aurait déjà fait plusieurs milliers de morts.

Conséquences en Tunisie

La révolution tunisienne déclenche un mouvement révolutionnaire qui a lui aussi des répercussions en Tunisie  la plus visible est l'installation de plus de 250 000 réfugiés fuyant la Libye dans le sud tunisien, dont 50 000 Tunisiens qui pèseront sur les chiffres de l’emploi.
L’inquiétude provoquée par la révolte a détourné les touristes européens de la Tunisie, faisant chuter le taux d’occupation des hôtels à un cinquième du taux habituel. Le secteur du tourisme a donc des difficultés importantes, aggravées par la Révolte libyenne de 2011 : chaque année, environ 1,6 million de touristes libyens séjournaient en Tunisie. Au total, le produit intérieur brut (PIB) devrait croître de seulement 0,8 % au lieu des 4 à 5 % attendus, grâce aux aides étrangères (française et algérienne) et au dynamisme des industries d’exportation : textile, chaussures, mécanique, électronique.

Réactions

Réactions internationales

Avant le départ de Ben Ali

Le 7 janvier, le gouvernement américain convoque l'ambassadeur Mohamed Salah Tekaya pour inciter Tunis à respecter les libertés civiles, la liberté d'expression, en particulier sur Internet, et à faire preuve de modération dans l'usage de la force contre les manifestants. En réponse, le président Ben Ali convoque à son tour l'ambassadeur des États-Unis.
L'Union européenne appelle le 10 janvier « au respect des libertés fondamentales » et le gouvernement français au « dialogue ».
Pour les journaux Le Canard enchaîné et Le Monde, l'absence de réaction officielle en Europe est la conséquence du « soutien sans faille des gouvernements italien, espagnol et français » au « régime tunisien ». Toujours selon Le Monde, il existe un « lobby tunisien à Paris, aussi fort à droite qu'à gauche […] au moins autant sentimental que préoccupé par des intérêts économiques ».
Michèle Alliot-Marie, ministre française des Affaires étrangères, rencontre son homologue tunisien Kamel Morjane pour discuter des événements de Sidi Bouzid. À la suite de cette rencontre, le Quai d'Orsay publie un communiqué  dans lequel la France déclare que la priorité est à l'appel au calme et que les émeutes de Sidi Bouzid ne sont dans l'intérêt de personne. Le communiqué déclare également que la France n'a pas l'intention de donner des conseils en matières économique et sociale à la Tunisie. Quelques jours plus tard, Michèle Alliot-Marie soutient devant l'Assemblée nationale que la France est prête à coopérer avec le gouvernement tunisien et à lui fournir son « savoir-faire » en matière de contrôle des émeutes.
La position officielle de la France avant le départ de Ben Ali se résume à ces deux éléments. La position de la ministre provoque indignation et protestation dans les partis d'opposition français, notamment le Parti socialiste. L'amiral Jacques Lanxade, ancien ambassadeur de France en Tunisie, souligne l'erreur d'analyse du gouvernement français — qui, à l'instar des gouvernements précédents, a souvent soutenu « excessivement » le régime « quasi-dictatorial » — ayant sous-estimé l’ampleur du mouvement de contestation populaire, en essayant d’aider Ben Ali à se maintenir au pouvoir.

Après le départ de Ben Ali


En France, après les atermoiements des heures précédentes, un communiqué de l'Élysée explique le même soir que « la France prend acte de la transition constitutionnelle annoncée par le Premier ministre Ghannouchi », appelant au dialogue pour « apporter une solution démocratique et durable à la crise » tout en souhaitant la fin des violences.Le 14 janvier au soir, dans un communiqué émis par la Maison-Blanche, le président américain Barack Obama condamne et déplore l’usage de la violence contre les citoyens «  exprimant pacifiquement leurs opinions » et « applaudi[t] le courage et la dignité du peuple tunisien  ». Il ajoute que «  les États-Unis, avec l’ensemble de la communauté internationale, observent, avec soutien, ce combat courageux et déterminé pour les droits universels que nous devons tous défendre, et nous nous souviendrons longtemps des images du peuple tunisien cherchant à faire entendre sa voix […]  ».
Le président libyen Mouammar Guadhafi continue de soutenir pleinement Ben Ali après son départ, affirmant qu'il est toujours « le président légal de la Tunisie […] et qu'il n'a fait que des bonnes choses » et que le peuple tunisien a été victime des mensonges diffusés par Internet.
Au Liban, le Hezbollah salue la révolution tunisienne. Le ministère marocain des Affaires étrangères — après que les autorités ont dispersé des manifestations de soutien à Rabat — exprime le 17 janvier la solidarité du Maroc avec « le peuple tunisien dans son ensemble, en cette période cruciale et délicate de son histoire » en souhaitant la stabilisation de la Tunisie, « élément essentiel et fondamental de la stabilité et la sécurité régionales, en particulier au Maghreb ». La presse marocaine voit dans l'éviction de Ben Ali par la rue une « leçon » à destination des dirigeants du Maghreb et du monde arabe.

Manifestations de soutien


Manifestation à Nantes en soutien au peuple tunisien
En France, où réside une forte diaspora tunisienne, des manifestations de soutien ont été organisées dans plusieurs villes, dont Paris, Toulouse, Lyon, Nantes, Marseille,Nice, Bordeaux et Strasbourg. En Belgique, une manifestation est organisée à Bruxelles. En Suisse romande, des manifestations sont organisées dans les villes de Genève et Lausanne. En Allemagne, une manifestation de Tunisiens est organisée à Berlin. Au Québec, des manifestations sont organisées le 15 janvier à Québec et à Montréal.
Au Maroc, une manifestation de soutien est dispersée par la police ayant déjà interdit une manifestation devant l'ambassade de Tunisie. Dans les Territoires palestiniens, des centaines de sympathisants du Jihad islamique manifestent à Gaza, arborant des drapeaux palestiniens et tunisiens. « Nous félicitions le peuple tunisien pour son soulèvement contre le régime tyrannique », déclare Daoud Chihab, porte-parole du mouvement. À Ramallah, capitale politique de la Cisjordanie, l'Autorité palestinienne a empêché la tenue d'un rassemblement de soutien à la révolution tunisienne, qui devait avoir lieu le 19 janvier.
Au Yémen, un millier d'étudiants yéménites manifestent le 16 janvier à Sanaa, appelant les peuples arabes au soulèvement contre leurs dirigeants à l'instar des Tunisiens.

Autres réactions

ONG

Dès le 20 décembre, Fédération internationale des droits de l'homme (FIDH) condamne l'utilisation d'armes à feu par les forces de sécurité tunisiennes et appelle à une enquête indépendante pour faire la lumière sur ces événements, à déterminer les responsabilités et à garantir le droit à la protestation pacifique.

Agences de notation

Suite aux événements du 18 janvier, l'agence de notation financière Moody's abaisse la notation souveraine de la Tunisie la faisant passer de Baa2 à Baa3, la perspective passant de « stable » à « négative » et la note court terme de P-2 à P-3. Les notes de dépôt et d'émissions sont également réduites. Enfin, Moody's abaisse également la note de la Banque centrale à Baa3 avec une perspective négative257.
L'agence de notation financière Standard and Poor's place sous surveillance négative la note de la dette à long terme de la Tunisie qui est au moment des événements de BBB. Elle annonce qu'elle prendra une décision sur l'abaissement éventuel de la note dans un délai de trois mois, tandis que l'agence Fitch Ratings annonce un délai de six mois pour envisager ou non une modification vers le bas de sa notation.

Médias, censure et rôle d'Internet dans le développement du mouvement


« Yes We Can #Sidibouzid », référence à Twitter dans la révolution, à Tunis le 14 janvier 2011
Avant le 14 janvier, la majorité des médias Tunisiens suivaient la ligne gouvernementale et rapportaient sans approche critique les activités du président déchu et du RCD l'ex-parti au pouvoir.
Le pays comptait trois journaux au faible tirage, deux hebdomadaires et un mensuel, critiquant le gouvernement. Ce dernier a retiré des kiosques tous les exemplaires des deux hebdomadaires et il empêche les journalistes étrangers de pénétrer sur son territoire
Face à cette censure et au manque de couverture par les médias nationaux, la lutte se fait également sur Internet où le collectif Anonymous annonce soutenir le mouvement en solidarité avec les manifestations. Les sites Web de la Bourse de Tunis, du ministère des Affaires étrangères, du ministère de l'Industrie, du ministère du Commerce, du gouvernement ou encore de la présidence de la République sont notamment attaqués. Des photographies montrant la dispersion de manifestants circulent via Twitter, des vidéos prises depuis des téléphones portables sont mises en ligne et reprises parFrance 24 et Al Jazeera.
Pour lutter contre le phénomène, les autorités surveillent Facebook et bloquent certaines pages. La police, quant à elle, exerce un filtrage global au niveau des fournisseurs d'accès. Les jeunes organisent des manifestations via Facebook notamment celle du 14 janvier. Le 6 janvier 2011, trois blogueurs « cyberdissidents » sont arrêtés par la police Certaines pages de médias étrangers comme France 24Le Nouvel Observateur, la BBC, Rue89 et Al Jazeera sont bloquées, jusqu'à une levée partielle de la censure annoncée par Ben Ali lors de son allocution du 13 janvier.
Les révélations de WikiLeaks sur la corruption du « clan Ben Ali-Trabelsi » et la nature « mafieuse » du pouvoir, traduites et reprises par des sites tunisiens comme nawaat.org, ont participé à la flambée de colère contre le gouvernement.
Plusieurs personnalités journalistiques tunisiennes soutenaient l'ancien régime et la politique du président déchu Ben Ali. Parmi elles figure Boren Bsaiess notamment par son apparition télévisé durant la révolution tunisienne sur la chaîne Al Jazeera et dans laquelle il défendait la position du gouvernement vis-à-vis des contestations populaires tunisiennes.

Débats autour du nom

De plus en plus d'opposants et de médias se mettent à parler de « révolution de jasmin ». Vingt ans auparavant, le président Ben Ali avait déjà nommé sa prise de pouvoir la « révolution au jasmin ». La fleur de jasmin est en effet le symbole de la Tunisie. Le terme fait aussi écho à d'autres mouvements ayant entraîné la chute de régimes dictatoriaux comme la Révolution des Œillets, au Portugal en 1974ou la Révolution des Roses, en Géorgie en 2003.
Des critiques sont émises sur ce nom. Pour le philosophe tunisien Youssef Seddik, l'expression « révolution de jasmin » ne convient pas à cette révolution marquée par « des violences, […] des morts »,« peut-être aussi profonde que la prise de la Bastille ». Le journaliste français, Olivier Malaponti, dénonce « un raccourci journalistique, un cliché, un stéréotype créé par les médias occidentaux, oublieux du sang, de la peur, des morts, des blessés, des familles en deuil ». Dans la même veine, Michael Ayariet Vincent Geisser soulignent l'absence de connotation sacrificielle dans une expression qui relève selon eux d'un « néo-orientalisme touristique », et une sémantique rappelant celle des deux premières années du règne de l’ « artisan du changement », Zine El Abidine Ben Ali, qui aimait qualifier précisément son « coup d’État médical » de « Révolution du jasmin ». La journaliste Nabihah Gasmi et le militant politique Sadri Khiari pointent que le jasmin est la fleur des banlieues huppées et préfèrent parler, eux, de « Révolution de la figue de Barbarie », la « seule fleur autorisée à pousser dans ces régions arides ».Le journaliste tunisien Zied El Hani s'attribue la paternité de l'expression « Révolution du jasmin ». Le 13 janvier, à la veille de la fuite du président Ben Ali, il met en ligne un texte intitulé « Révolution du jasmin ». Nawaat, un site d'opposants tunisiens utilisait déjà depuis plusieurs semaines un espace spécial sur Twitter : « La révolte de Jasmin » Sur Facebook, une vingtaine de groupes a repris l'appellation à son compte. L'ensemble des médias français reprend abondamment l'expression sous diverses formes dès le 14 janvier ainsi que les médias arabophones ou anglophones. Les jeunes Tunisiens puis Égyptiens ont repris les méthodes de la révolution du 5 octobre 2000 en Serbie développées par le mouvementOtpor, mouvement de résistance non violente, grâce à qui les manifestations non violentes et l'utilisation d'outils modernes comme le téléphone portable et internet ont mobilisé et se sont rapidement soldées par une victoire et par le renversement du président Slobodan Milošević, c'étair la première fois dans l'Histoire que le téléphone portable et internet ont été autant mis à contribution dans un but révolutionnaire avec un résultat positif.
D'après un article du journal Le Monde daté du 17 janvier, de « nombreux jeunes » Tunisiens parleraient de « Révolution Facebook », en lien avec le rôle joué par internet dans l'organisation des manifestations. Dans une analyse de Sylvie Kaufmann publiée par Le Monde du 3 février, celle-ci constate que les révoltes tunisienne, égyptienne et jordanienne sont le fait de jeunes diplômés au chômage, totalement connectés et qui utilisent les puissants réseaux sociaux d'Internet à plein, consultant Facebook ou les révélations de WikiLeaks sur leurs smartphones. Elle inclut ainsi la révolution tunisienne dans un mouvement de « révolutions émergentes », d'après l'expression de pays émergents désignant les anciens pays en voie de développement.